La Pieuvre du Midi

Médine : « Je ne conçois l’art que par son caractère subversif »

Musique. Le rappeur qui sait autant jouer des mots que de la polémique sera en concert ce samedi 16 novembre à 20h30 à la scène conventionnée d'intérêt national, la Cigalière.

«J’aime trop mon pays pour être nationaliste », disait en son temps Albert Camus. Cette citation irait comme un gant à Médine quand on sait que le groupuscule identitaire Jeunes d’Oc, soutenu par le conseiller régional (ExtD, ex RN, ex Reconquête), Franck Manogil, a lancé une pétition afin de faire annuler son concert (voir par-ailleurs), ce samedi 16 novembre à 20h30, à la Cigalière, scène conventionnée d’intérêt national (SCIN) à Sérignan. À quelques heures de sa prestation, il a accepté de répondre aux questions de La Pieuvre du Midi…  .

« C’est la première fois que vous venez à Sérignan, il semble que vous ayez tenu à avoir une date dans le Sud, entre Avignon et Toulouse, pourquoi ?.
C’est effectivement la première fois que je viens me produire dans cette salle. Je sais ce que vous insinuez avec votre question, à savoir que j’ai tenu à me produire dans une zone géographique où l’extrême-droite est très forte comme à Béziers la ville voisine, avec Robert Ménard aux manettes. Je ne me défile jamais. Je me produis partout et surtout sur des terres hostiles. Les idées de l’extrême droite, c’est sur le terrain que je les combats. C’est en totale cohérence avec les textes que je chante.

Pour vos vingt ans de carrière, vous allez reprendre, sur scène vingt de vos titres, comment avez-vous sélectionné vos morceaux ?
Ce n’était pas évident de choisir entre les 300 titres que j’ai composés depuis vingt ans (sourire). J’ai sélectionné les plus représentatifs, les plus emblématiques et ceux qui pouvaient être adaptables, transposables en version acoustique.

Votre style, en vingt ans de carrière, a profondément évolué, s’est par exemple affiné. De la rébellion de vos débuts, on vous a vu gagner en maturité au fil des ans. Choisir les morceaux pour donner un spectacle cohérent ne s’est-il pas avéré compliqué ?
Cela n’a pas été très difficile au contraire. Les spectateurs seront invités durant mon concert à assister à une autocritique complète de mon travail depuis vingt ans. Il s’agira d’une véritable déconstruction de mes compositions autant au niveau polémique que dans celui des paroles et propos.

Comme dans certaines autres villes, une pétition, initiée par le groupuscule identitaire Jeune d’Oc, circule afin de vous interdire de vous produire à Sérignan. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Il est normal que l’extrême droite s’insurge de me voir rappliquer sur leurs terres. Je m’attendais même à ce type de réaction. Mais vous avez vu quelles sont les activités du groupuscule identitaire ? Et Franck Manogil qui soutient leur initiative, il n’est pas irréprochable, n’est-ce pas ? Il a été poursuivi pour des propos diffamatoires, non ?*

Les responsables du groupuscule vous reprochent certaines de vos citations telles que « Crucifions les Laïcards, j’mets des fatwas sur le tête des cons… » ; « Je hais les blancs depuis Rodney King j’ai besoin d’une carabine » ; « Ces porcs blancs vont loin, passe-moi une arme de poing, j’vais faire un pédophile de moins« . Avec le recul, les regrettez-vous ?
Attendez, il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre et vérifier les informations avant de les balancer. Si j’ai effectivement prononcé la première citation, les deux autres ne m’appartiennent pas**.
Pour la première, ils interprètent mal mes propos à desseins. Je m’explique : il s’agit, dans ce morceau, d’une ode à la laïcité. Ils sortent volontairement un extrait de son contexte afin de susciter la polémique, pour faire croire que je veux chasser la laïcité au profit de l’islam. C’est complètement fallacieux. Tous les propos concernant le racisme anti-blanc sont, pour leur part, éhontément mensongers. Je ne les ai jamais tenus. Ils ne font ça que pour jeter l’opprobre sur ma prestation. Vous l’avez bien compris, il ne s’agit là que de la provocation… et comme d’habitude avec les identitaires ou l’extrême-droite, c’est gros, c’est très caricatural.

On se souvient que votre participation à l’université d’été d’Europe Écologie Les Verts avait suscité la polémique il y a un peu plus d’un an. Dans la foulée, vous avez déclaré au Parisien : « On me prend pour un poseur de bombes alors que je suis un démineur ». Craignez-vous cependant que cette « mauvaise » image vous suive tout au long de votre carrière ?
Je ne conçois l’art que par son caractère subversif. De fait, je ne prête que peu d’attention à mon image. Cela m’importe peu. Je suis perçu par des millions de Français qui se procurent mes morceaux ou qui me suivent sur les réseaux sociaux de la meilleure des façons.

… vous vous situez comme un héritier des Brassens ou Renaud…
Tout à fait. C’est évident que je suis à la trace le sillon que ces deux artistes ont creusé. Comme eux, en leur temps, je suis décrié, mais je fais confiance au temps pour que justice me soit rendue et mon talent par tous reconnu.

Au final, ne préféreriez-vous pas qu’on ne parle de vous que comme artiste uniquement ou est-ce que cette image d’homme engagé au final vous plaît ?
Cela me va très bien qu’on parle de moi en tant qu’artiste engagé. Cela me va très bien d’exprimer sur scène mon point de vue, mes idées sur une terre hostile. Cela me va très bien de venir soutenir des gens qui subissent la loi de partis extrêmes par le biais de mon art. Ce sont eux qui, au quotidien, subissent les méfaits de l’extrême-droite au pouvoir.

Enfin, si en une phrase, vous deviez donner envie aux spectateurs de venir assister à votre concert, que diriez-vous ?
Je leur dirai simplement que c’est un spectacle familial et militant, venez voir une bagarre à Disneyland. »

Propos recueillis par PEA
► *Après avoir contesté une subvention accordée à SOS Méditerranée par le Département, Franck Manogil, alors conseiller départemental – membre à ce moment-là du RN soutenu par Robert Ménard (maire ExtD de Béziers) – a été condamné à verser 750€ à l’association qui sauve des migrants en mer, le 24 octobre 2021 ; **Effectivement, après vérifications, les paroles citées par Jeunes d’Oc ne sont pas issues des compositions de l’artiste.

►Concert en configuration « assis-debout ». Tarifs : (debout) 28€ ; (assis) 34€, 32€ (privilège), 30€ (réduit), 17€ (moins de 11 ans). Renseignements et réservations : 04 67 326 326 –
www.lacigaliere.fr
 

Pétition

Le combat d’arrière-garde des Jeunes d’Oc
 

Il s’est réveillé tard. C’est le 13 novembre dernier que le groupuscule identitaire, Jeunes d’Oc, association basée à Montpellier – qui s’est fait surtout connaître pour ses agressions et intimidations envers les militants de gauche, en marge des manifestions – en lançant une pétition pour demander l’annulation pure et simple du concert de Médine à Sérignan du 16 novembre.

Pour la Cigalière, c’est un « non-événement »
Ce groupe d’ultra-droite n’a pas lésiné sur les moyens pour se faire entendre en allant déployer une banderole sur un pont enjambant l’A75. Déjà, par le passé, certains parlementaires RN comme Stéphanie Galzy (députée de la 5e circonscription de l’Hérault) avait utilisé le même modus operandi pour soutenir les agriculteurs, au moment de leur mobilisation.
Les Jeunes d’Oc ont pu compter, dans leur action, sur le soutien du conseil régional (ExtD), Frank Manogil, pour assurer, via une vidéo, la promotion de la pétition.
Pour se faire entendre, la pétition devait atteindre les 5 009 signataires. A l’heure où ces lignes sont écrites, seules 1 362 signatures avaient été comptabilisées. Il en manquait donc 3 647. Une paille…
Ce mouvement n’a pas ébranlé une seconde la scène conventionnée d’intérêt national, la Cigalière, du directeur Marc Boudet qui s’est contenté de le qualifier de « non-événement ».
PEA

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